Chers amis, chères amies,
Salutations du bureau du Tricontinental: Institut de recherche sociale.
Assis dans une cellule de prison fasciste en Italie, Antonio Gramsci s’interrogeait sur la situation difficile dans laquelle se trouvaient des communistes comme lui. Dans le Manifeste communiste (1848), Karl Marx et Friedrich Engels écrivaient : » Les ouvriers n’ont rien d’autre à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner ». Mais ces chaînes n’étaient pas seulement des liens matériels, des chaînes de privation qui empêchaient ceux qui ne possédaient aucun bien autre que leur propre capacité de travailler d’être pleinement libres. Ces chaînes se sont glissées dans l’esprit, étouffant la capacité de la plupart des êtres humains d’avoir une compréhension claire de notre monde. Suffoqués, les ouvriers (qui étaient autrefois des adhérents des mouvements socialistes et communistes) se sont dirigés vers le fascisme. Ils sont venus aux partis fascistes non pas à cause d’un manque de clairvoyance, écrivait Gramsci, mais à cause de leur conscience contradictoire.
D’une part, les personnes qui passent le plus clair de leur temps à travailler développent une compréhension de la » transformation pratique du monde « . Ce cadre est implicite dans l’activité des travailleurs, puisque le travailleur – étant donné que son temps lui est volé – est souvent empêché d’avoir une » conscience théorique claire de cette activité pratique « . D’autre part, le travailleur a » hérité du passé et absorbé sans critique » un ensemble d’idées et de pratiques qui l’aident à façonner son approche du monde. Ces idées et pratiques proviennent de toutes sortes d’institutions, telles que l’appareil éducatif de l’État, les institutions religieuses et les industries culturelles. De telles idées héritées du passé n’éclairent pas l’expérience pratique des travailleurs, mais contribuent néanmoins à façonner leur vision du monde. C’est cette dualité que Gramsci a appelé » conscience contradictoire « .
Si vous acceptez l’évaluation de Gramsci, alors la lutte pour la conscience – la lutte idéologique – est une nécessité concrète. Pendant des générations de travailleurs, le syndicat, les partis politiques et formations culturelles de gauche ont fourni les » écoles » pour élaborer et connecter la conscience des travailleurs et leur fournir une compréhension particulière du monde, une clarté mentale leur permettant d’identifier les chaînes qu’il fallait briser. Au cours des quarante dernières années, pour diverses raisons que nous avons énumérées dans notre premier document de travail, l’affiliation syndicale a diminué, tout comme les partis politiques de gauche. Les » écoles » des travailleurs ne sont plus disponibles. La conscience contradictoire est plus difficile à élaborer, c’est pourquoi il y a eu une dérive des travailleurs sous l’emprise des organisations de la hiérarchie sociale (qui sont fondées sur les divisions sociales de la religion, de la race, de la caste et autres manifestations similaires). |