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Nous devons renverser la culture de la décadence et descendre dans la rue pour une culture de l’humanité

Les derniers mois de l'année 2023 ont déchiré notre sentiment d'espoir alors qu'Israël intensifie sa Nakba permanente, avec plus de vingt mille Palestiniens tués depuis le 7 octobre. Pendant ce temps, la COP28 sur le changement climatique a poursuivi la tendance à faire des déclarations creuses sans prendre de réels engagements pour réduire les émissions de carbone, alors que nous entrons dans "l'ère du four planétaire", selon les termes du secrétaire général de l'ONU. Pourtant, rien de tout cela n'a empêché des millions de personnes à travers le monde de descendre dans la rue pour transformer la douleur et la colère en force collective. Cette praxis reconstruira notre culture de l'humanité.
Michael Armitage (Kenya), The Promised Land, 2019.

Michael Armitage (Kenya), Terre promise , 2019.

Chers amis,

Salutations du bureau du Tricontinental, Institut de recherche sociale.

Les derniers mois de 2023 ont poignardé notre sens de l’espoir et nous ont plongés dans une sorte de tristesse mortelle. L’escalade de la violence israélienne a tué plus de 20 000 Palestiniens à ce jour, anéantissant des générations entières de familles. Des images et des témoignages horribles en provenance de Palestine ont inondé toutes les formes de médias, suscitant un profond sentiment d’angoisse et d’indignation dans de larges pans de la population mondiale. En même temps, en accord avec les zigzags de l’histoire, cette douleur collective s’est transformée en force collective. Partout dans le monde, des centaines de millions de personnes sont descendues dans la rue jour après jour, semaine après semaine, pour exprimer leur opposition véhémente à la Nakba permanente d’Israël contre les Palestiniens. Les nouvelles générations à travers le monde ont été radicalisées par la lutte pour l’émancipation des Palestiniens et contre l’hypocrisie du bloc OTAN-G7. Le 8 décembre, ce qu’il restait de crédibilité de la rhétorique « humanitaire » a été effacé lorsque l’ambassadeur adjoint des États-Unis aux Nations unies, Robert Wood, a levé la main au Conseil de sécurité des Nations unies pour voter seul contre une résolution appelant à un cessez-le-feu à Gaza, utilisant ainsi le droit de veto des États-Unis pour bloquer la mesure (c’était le troisième blocage des États-Unis d’une résolution appelant à un cessez-le-feu depuis le 7 octobre).

Pendant ce temps, au sud de la Palestine, à Dubaï (Émirats arabes unis), les États du monde se sont réunis du 30 novembre au 12 décembre pour la 28ème Conférence des Parties (COP28) sur le changement climatique. Les réunions officielles semblaient être tenues par des sociétés transnationales de l’énergie qui, aux côtés des anciennes puissances coloniales, faisaient des déclarations solennelles tout en refusant de s’engager à réduire les émissions excessives de carbone. Aucun des accords conclus à Dubaï n’a force de loi. Il ne s’agit que d’objectifs que les pays ne sont pas tenus d’atteindre. « Nous n’avons pas tourné la page de l’ère des combustibles fossiles », a déclaré Simon Stiell, Secrétaire exécutif d’ONU Climat. La COP28, a-t-il poursuivi, « est le début de la fin ».

Après vingt-huit ans de médiocrité, on est en droit de se demander si Stiell ne faisait pas référence à la fin du monde plutôt qu’à celle de l’ère des combustibles fossiles. La première interprétation est étayée par l’annonce en juillet du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, selon laquelle « l’ère du réchauffement climatique est terminée. L’ère de l’ébullition mondiale est arrivée ». Aucune manifestation n’a été possible à Expo City Dubaï, où se tenait la COP28. À la fin de la COP28, le centre a dû être vidé à la hâte car Winter City devait être installée dans ce port désertique,  événement où le Père Noël et ses rennes, baignés dans de fausses neiges, invitent les acheteurs de Noël à participer à leurs « activités vitales d’éco-mission ». Loin de Dubaï, les manifestants ont brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Le niveau des mers monte et notre révolte aussi ».

Emilio Vedova (Italy), Contemporary Crucifixion no. 4, 1953.

Emilio Vedova (Italie), Crucifixion contemporaine n° 4 , 1953.

Ces protestations pour la Palestine et pour la planète frappent à la porte de la civilisation moderne, imprégnée de décadence. La banalité de l’inégalité sociale et la normalisation de la guerre sous-tendent la fausse idée que la souffrance et la mort à grande échelle seraient insurmontables et acceptables. Les dirigeants politiques ne sont pas les seuls dont le discours emploie un ton inoxydable, il y a aussi ceux qui produisent les éléments de notre culture, que ce soit dans l’industrie du divertissement ou de l’éducation. Des concepts tels que liberté et justice sont traités comme des abstractions pouvant être brandies ici et là, mutilées par des gens qui fomentent des guerres en leur nom. En politique, dans le divertissement, dans l’éducation et dans d’autres domaines de la vie moderne, ces concepts sont retirés de l’histoire et traités comme des produits, tout comme les biens produits par les travailleurs sont sortis de leur contexte et traités comme des marchandises. La liberté et la justice ne sont pas des abstractions, mais des idées et des pratiques nées des luttes courageuses de centaines de millions de personnes tout au long de l’histoire, des gens ordinaires qui se sont sacrifiés pour le bien des générations futures. Ils ont produit ces mots non pas pour les manuels scolaires et les tribunaux, mais pour que nous continuions à affiner et élargir leur sens dans nos propres combats, pour qu’ils deviennent réalité.

Nous protestons pour donner un sens à ces concepts de liberté et justice, et pour les rendre à leur histoire authentique. C’est avec bonheur que nous  que l’humanité ne sera rachetée que par la praxis, ce que Karl Marx définissait comme « activité libre et consciente », nous permettant de créer et façonner la réalité qui nous entoure. Défendre ses convictions ne consiste pas seulement à tenter de changer une politique, que ce soit pour arrêter une guerre ou réduire les inégalités sociales ; c’est refuser radicalement la culture de la décadence et proclamer la culture d’une possible humanité. La praxis n’est pas une noble activité individuelle, une veillée solitaire menée pour des raisons morales aussi abstraites que l’usage anhistorique des termes liberté et justice. La praxis ne peut inaugurer une nouvelle culture que si elle s’exerce collectivement, produisant dans sa progression un ensemble joyeux de nouvelles relations et de certitudes.

Antonio Jose Guzman (Panama) et Iva Jankovic (Yougoslavie), photographie de l’œuvre Transatlantic Stargate , 2023.

Le but de Tricontinental, Institut de Recherche en Sciences sociales, n’est pas d’être l’archiviste d’une civilisation en décomposition, mais plutôt de participer au grand courant de l’humanité qui, par sa pratique, redonnera au monde un véritable espoir. Notre institut, lancé en mars 2018, a construit un corpus de travail considérable, comprenant plus de soixante-dix dossiers mensuels, sans jamais manquer une échéance. Le mois dernier, vous avez reçu notre soixante et onzième dossier, La culture comme arme de lutte : l’ensemble artistique Medu et la libération de l’Afrique australe, qui célébrait et soulignait la nécessité d’une production culturelle enracinée dans la praxis. L’efficacité de l’équipe de Tricontinental est remarquable. Elle travaille jour et nuit pour vous apporter le genre de matériel qui manque à notre dialogue mondial. Au cours de l’année à venir, nous prévoyons de vous présenter douze dossiers sur les sujets suivants :

  1. Le nouvel état d’esprit dans les pays du Sud et l’évolution de l’ordre mondial, en collaboration avec Global South Insights.
  2. Le Mouvement de Science Populaire (People’s Science Movement) dans le Karnataka, en Inde.
  3. Le Népal et la Millennium Challenge Corporation (ndt : Agence Américaine d’aide à l’étranger), en collaboration avec le magazine Bampanth (« La Gauche »).
  4. Quarante ans du Mouvement des paysans sans terre (MST) au Brésil.
  5. L’Asie du Nord-Est et la nouvelle guerre froide, en collaboration avec l’International Strategy Centre et No Cold War.
  6. Les Congolais luttent pour le contrôle de leurs propres ressources, en collaboration avec le Centre Culturel Andrée Blouin.
  7. Multi-polarité et modèles de développement latino-américains.
  8. Politique culturelle du mouvement Telangana.
  9. Pourquoi la droite progresse en Amérique latine.
  10. Luttes des travailleurs sans terre en Tanzanie, en collaboration avec le Mouvement des travailleurs agricoles (MVIWATA).
  11. Corruption des entreprises transnationales en Afrique.
  12. Situation de la classe ouvrière en Amérique latine.

Vos commentaires, comme toujours, sont essentiels.

Chaleureusement,

Vijay

 

Traduction, Chris & Dine